Les pédagogies alternatives - Le Monde - septembre 2014

Le Monde.fr | 15.09.2014 par Delphine Roucaute

Un extrait de l’article :

Les mouvements pédagogiques au sein de l’éducation nationale

L’accès à des pédagogies différentes ne se fait pas forcément en dehors de l’école publique. Un certain nombre de mouvements pédagogiques jouissent de l’agrément du ministère chargé de l’éducation nationale et peuvent ainsi proposer des formations aux professeurs et construire des projets pédagogiques dans certains établissements.
La plupart d’entre eux – comme l’Association française pour la lecture, l’Institut coopératif de l’école moderne (ICEM) ou le Centre de recherches et d’actions pédagogiques – sont réunis au sein du Collectif des associations partenaires de l’école publique aux côtés d’associations proposant des activités aux élèves en dehors du temps de cours.
L’apprentissage et la pratique de ces pédagogies alternatives relèvent d’un choix personnel de la part de chaque enseignant de l’éducation nationale, qui peut suivre une formation continue dispensée par les différentes associations. Contrairement aux professeurs des écoles privées hors contrat, ils sont soumis aux horaires et programmes de l’éducation nationale et sont inspectés de la même manière que leurs collègues de l’école publique.
Il existe également des établissements accueillant des équipes enseignantes unies autour du même projet pédagogique. Une douzaine de ces lycées et collèges expérimentaux se regroupent au sein de la Fédération des établissements scolaires publics innovants (Fespi), certains se concentrant plus spécifiquement sur les élèves « décrocheurs ».
Les projets pédagogiques sont différents, allant de l’école Vitruve (20e arrondissement de Paris) au lycée autogéré de Paris (15e arrondissement). « Très globalement, la Fespi se réfère à ce qu’on appelle la philosophie de l’éducation nouvelle, qui prend en compte différents principes de base dont, par exemple, la confiance, le pari optimiste de l’éducation, la prise en compte des rythmes individuels, la diversité des modes d’entrée dans les apprentissages, des rapports de coopération, etc. », explique Loan Simon-Hourlier, présidente de la Fespi.
Parmi les principaux courants de l’éducation nouvelle pratiqués en France, on retrouve avant tout la méthode Freinet, mise au point par le Français Célestin Freinet dans les années 1920.
Répartie sur tout le territoire en groupes départementaux, l’association ICEM-Pédagogie Freinet regroupe environ 3 000 personnes et dispense des formations continues pour les enseignants. Comme la pédagogie Montessori, la méthode Freinet estime que chaque enfant doit apprendre à son rythme, « mais sa spécificité est l’entraide entre pairs », explique Laurent Lescourach, maître de conférences en sciences de l’éducation. « Le notionnel arrive comme une réponse à un problème qu’on rencontre. Freinet inverse l’ordre des choses en laissant d’abord tâtonner l’enfant, pour ensuite faire une synthèse », détaille-t-il.
Il existe quelques rares « établissements Freinet » qui ont reçu une dérogation de l’éducation nationale permettant à leurs enseignants de « coopter » des collègues partageant le même projet pédagogique, comme par exemple le collège-lycée expérimental d’Hérouville-Saint-Clair (Calvados). D’autres ont signé une convention avec le ministère, qui leur permet de recruter des « postes à profil », comme l’école de la rue Vitruve depuis l’année dernière.

Ci-dessous l’article dans son intégralité :

Quelles pédagogies alternatives sont enseignées en France ?

La formation pédagogique est au cœur des préoccupations des enseignants. C’est une des leçons à tirer du rapport de l’Organisation de coopération et de développement économique sur l’éducation paru le 9 septembre, qui révèle que 40 % des enseignants français s’estiment « très peu préparés » au volet pédagogique de leur métier, soit la proportion la plus élevée parmi les 34 pays participant à l’enquête.
Minoritaires dans l’offre éducative française, des établissements proposant des méthodes plus tournées vers l’individu existent pourtant aussi bien dans l’enseignement privé que dans le public. La plupart se réfèrent au courant de l’éducation nouvelle, qui prône un apprentissage à partir du réel et du libre choix des activités. Tour d’horizon non exhaustif des différentes pédagogies innovantes en France.
Au sein des écoles privées hors contrat
Les écoles privées hors contrat, ou écoles indépendantes, n’ont pas passé de contrat avec l’Etat au sens de la loi Debré de 1959, elles ne sont donc pas soumises aux horaires ni aux programmes, et encore moins aux méthodes pédagogiques de l’éducation nationale. Ces établissements ne touchent pas de subventions de l’Etat et sont donc payants.
Selon des chiffres de la Fondation pour l’école, quelque 50 000 élèves sont scolarisés dans 587 établissements répartis sur tout le territoire. Si la majorité (61 %) de ces derniers dispensent un enseignement non confessionnel, 27 % sont de confession catholique, 7,5 % de confession juive, 3,4 % de confession protestante et 1 % de confession musulmane.

Un enseignement digne du XXIe siècle ?
Nombreux sont ceux qui réclament une révolution éducative en vue d’adapter les apprentissages aux besoins du monde moderne. Dans cette édition, nous explorons quelques démarches innovantes et recueillons le point de vue d’un spécialiste éminent. États-Unis : les vertus de l’innovation Quand les professionnels de l’éducation envisagent l’avenir de leur métier, l’un des mots qui revient le plus fréquemment, c’est l’innovation. Un terme devenu concret au sein du prestigieux Institut WYSS de Boston où l’on ambitionne de réinventer la médecine du XXIe siècle. Des experts internationaux le visitent régulièrement. C’était le cas récemment d’une délégation de directeurs de grandes écoles et universités françaises venue découvrir comment dans cette ville américaine, enseignement et recherche intègrent des idées innovantes. L’Institut WYSS, établissement privé de l’Université d’Harvard, s’illustre dans toute une série de recherches de pointe comme celle sur le ’shrilk’, matériau malléable, solide et biodégradable destiné à remplacer le plastique, ou celle sur la reconstitution d’organes humains sur des puces électroniques. Les maîtres-mots ici, ce sont la collaboration entre disciplines et la proximité avec des partenaires professionnels comme l’un des plus importants hôpitaux de Boston. Une démarche porteuse d’enseignement en vue d’inventer les filières éducatives de demain. Ken Robinson : ’le bon enseignant est un alchimiste’ Déjà plus de 25 millions d’internautes ont visionné ses conférences TED : Ken Robinson, universitaire anglais et conseiller international en matière d’éducation, est aujourd’hui l’un des experts de l’éducation les plus influents à l’échelle de la planète. Aurora Vélez l’a interviewé à Paris. Dans l’un de ses derniers livres : ’L’Élément’, Ken Robinson estime que les talents sont anéantis par l’école : ’Souvent,’ dit-il, ’les écoles ignorent les véritables talents des jeunes et donc, il se peut que jamais, elles ne les découvrent. (...) Il y a de grandes opportunités d’innovation dans l’organisation interne des établissements,’ assure-t-il, ’la plupart des cours sont encore organisés par matière : on divise la journée en petites tranches de 40 à 50 minutes et on sonne la cloche toutes les 50 minutes. Si on gérait une entreprise de cette manière, elle ferait faillite en une semaine,’ ajoute-t-il avant de préciser : ’je crois que si on organisait les écoles ou les communautés d’apprenants autour de la nature des tâches qu’on leur demande, la dynamique serait très différente.’ Pour le spécialiste anglais, ’le bon enseignant est un alchimiste : il peut créer des choses merveilleuses à partir d’éléments qui semblent peu prometteurs ; tous les enfants ont un grand potentiel, c’est le rôle du système éducatif de les aider à le réaliser.’ 42, l’école qui bouscule les codes À Paris, l’==École 42==, fondée par le patron de Free, Xavier Niel bouscule les codes. Dans cet établissement privé inédit, entièrement gratuit et ouvert aux 18/30 ans, il n’y a ni examen d’entrée, ni enseignement formel, ni emploi du temps : les élèves apprennent le développement informatique en peer-to-peer. La première promotion a fait sa rentrée ces derniers mois. Charlotte en fait partie, elle n’a pas le bac, mais elle a été sélectionnée parmi 70.000 candidats. Elle nous explique travailler sous forme de projet sur une semaine ou deux, les consignes étant transmises sous forme de vidéo explicative. Les étudiants travaillent en petits groupes et s’auto-évaluent. Fervent défenseur de cette nouvelle pédagogie, le directeur général adjoint de l’école, Kwame Yamgnane. Comme son fondateur, il a constaté une inadéquation entre la demande des entreprises et les formations informatiques actuelles en France. Son établissement a pour but d’y répondre. ’Les valeurs qu’on transmet sont fondamentalement différentes de celles qui sont transmises aujourd’hui, (...) qui sont extrêmement tournées vers le travail individuel,’ affirme-t-il, ’c’est vraiment le contraire de ce qui fera fonctionner le numérique.’ ’Dans notre système actuel, de caste absolu où si vous êtes né au bon endroit, vous pouvez accéder à la bonne école, vous n’obtenez au final que des gens qui innovent tous dans la même direction,’ déplore-t-il.

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Lire aussi (édition abonnés) : Les écoles privées hors contrat, une galaxie éclectique à la marge du système
Parmi les écoles non confessionnelles les plus connues, on retrouve les écoles dites « Montessori », du nom de la pédagogue italienne Maria Montessori, qui a développé une méthode issue de l’éducation nouvelle dans les années 1900. Depuis quelques années, ces écoles se développent beaucoup en France : l’Association Montessori de France en liste au moins 72, soit environ 3 000 élèves. Sans compter la « nébuleuse » d’écoles fraîchement ouvertes mais non adhérentes à l’association : plus d’un tiers des écoles indépendantes ayant ouvert à la rentrée 2013 se revendiquaient de la pédagogue italienne.
Cette méthode repose sur le respect du rythme propre à chaque enfant. Elle suppose que l’enfant soit acteur de son propre développement. « Il est donc important que l’enfant ait la liberté de mouvement et le libre choix de ses activités, ce qui va permettre le développement de l’autonomie et de la responsabilisation », peut-on lire sur le site de l’Association Montessori. Pour ce faire, la pédagogue a développé tout un matériel censé « répondre aux périodes sensibles qui guident l’enfant dans son développement naturel », explique Isabelle Séchaud, formatrice à l’Institut supérieur Maria Montessori. Des objets aux couleurs, volumes et textures différents participent ainsi à l’éveil de l’enfant. Le rôle de l’adulte est alors d’être un « accompagnant », un médiateur entre l’enfant et ces objets.
Voir : A Plaisir d’enfance, une école Montessori, « un état d’esprit résolument optimiste »
Autre pédagogie reconnue, la méthode dite « Steiner-Waldorf », développée par l’Allemand Rudolf Steiner dans les années 1900. L’ouverture sur le monde est au centre de la pensée de l’Allemand, avec notamment l’apprentissage de deux langues vivantes dès le cours préparatoire, ainsi que des stages en milieu agricole, industriel et social à la fin du secondaire, afin que les adolescents découvrent la réalité de tous ces milieux.
Si elle réunit près de 250 000 élèves dans le monde, cette méthode n’en compte que 2 300 en France, dans une vingtaine d’écoles et jardins d’enfants. A la rentrée 2013, trois établissements Steiner ont ouvert sur le territoire.
Les mouvements pédagogiques au sein de l’éducation nationale
L’accès à des pédagogies différentes ne se fait pas forcément en dehors de l’école publique. Un certain nombre de mouvements pédagogiques jouissent de l’agrément du ministère chargé de l’éducation nationale et peuvent ainsi proposer des formations aux professeurs et construire des projets pédagogiques dans certains établissements.
La plupart d’entre eux – comme l’Association française pour la lecture, l’Institut coopératif de l’école moderne (ICEM) ou le Centre de recherches et d’actions pédagogiques – sont réunis au sein du Collectif des associations partenaires de l’école publique aux côtés d’associations proposant des activités aux élèves en dehors du temps de cours.
L’apprentissage et la pratique de ces pédagogies alternatives relèvent d’un choix personnel de la part de chaque enseignant de l’éducation nationale, qui peut suivre une formation continue dispensée par les différentes associations. Contrairement aux professeurs des écoles privées hors contrat, ils sont soumis aux horaires et programmes de l’éducation nationale et sont inspectés de la même manière que leurs collègues de l’école publique.
Il existe également des établissements accueillant des équipes enseignantes unies autour du même projet pédagogique. Une douzaine de ces lycées et collèges expérimentaux se regroupent au sein de la Fédération des établissements scolaires publics innovants (Fespi), certains se concentrant plus spécifiquement sur les élèves « décrocheurs ».
Les projets pédagogiques sont différents, allant de l’école Vitruve (20e arrondissement de Paris) au lycée autogéré de Paris (15e arrondissement). « Très globalement, la Fespi se réfère à ce qu’on appelle la philosophie de l’éducation nouvelle, qui prend en compte différents principes de base dont, par exemple, la confiance, le pari optimiste de l’éducation, la prise en compte des rythmes individuels, la diversité des modes d’entrée dans les apprentissages, des rapports de coopération, etc. », explique Loan Simon-Hourlier, présidente de la Fespi.
Parmi les principaux courants de l’éducation nouvelle pratiqués en France, on retrouve avant tout la méthode Freinet, mise au point par le Français Célestin Freinet dans les années 1920.
Lire : La méthode Freinet, une pédagogie innovante au cœur de l’école publique
Répartie sur tout le territoire en groupes départementaux, l’association ICEM-Pédagogie Freinet regroupe environ 3 000 personnes et dispense des formations continues pour les enseignants. Comme la pédagogie Montessori, la méthode Freinet estime que chaque enfant doit apprendre à son rythme, « mais sa spécificité est l’entraide entre pairs », explique Laurent Lescourach, maître de conférences en sciences de l’éducation. « Le notionnel arrive comme une réponse à un problème qu’on rencontre. Freinet inverse l’ordre des choses en laissant d’abord tâtonner l’enfant, pour ensuite faire une synthèse », détaille-t-il.
Il existe quelques rares « établissements Freinet » qui ont reçu une dérogation de l’éducation nationale permettant à leurs enseignants de « coopter » des collègues partageant le même projet pédagogique, comme par exemple le collège-lycée expérimental d’Hérouville-Saint-Clair (Calvados). D’autres ont signé une convention avec le ministère, qui leur permet de recruter des « postes à profil », comme l’école de la rue Vitruve depuis l’année dernière.
Les mouvements pédagogiques restent toutefois minoritaires au sein de l’éducation nationale, aucune formation spécifique à une pédagogie alternative n’étant dispensée dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, la formation initiale des futurs enseignants qui a remplacé les IUFM.

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